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Le Ciel des Oiseaux blessés

Le Ciel des Oiseaux blessés (4/5) : Les retrouvailles de l’amour

edition1_ciel_oiseaux4_oriC1lummoins27con15dim5cm5Illustration par l’auteur

CYCLE « LE CIEL DES OISEAUX BLESSÉS » (4/5)
LES RETROUVAILLES DE L’AMOUR – LA MOUETTE

La maison était tout près de la mer, fenêtre unique sur l’azur des vagues… Derrière, là où commençait la terre  — sableuse, salée, aride —  la basse-cour remplissait l’air humide de son incessant tapage. La mouette blessée échoua au milieu de ses querelles, des petits cris des poussins et de l’épouvante perpétuelle des poules. Tout ce chaos bruyant lui ferait peur si elle n’était pas épuisée et envahie par la douleur. La mouette resta blottie sur le sable blanc, un peu aveuglée par les reflets du soleil, l’aile cassée étendue sans vie sur les graines croustillantes et chaudes qui gardaient encore le parfum âpre de la mer…

Personne ne s’aperçut de son naufrage  — sous le soleil brûlant les poules et les canes cherchaient l’ombre du poulailler pour y abriter leurs petits, le coq sommeillait un peu plus loin, rassurante présence de force abrutie par la chaleur…

La mouette se traîna péniblement sur le sable pour pouvoir profiter de l’ombrage d’un acacia, le seul représentant du monde vert d’ailleurs, de l’arrière-pays, qui avait choisi le sol amer de la côte pour la joie de rendre service à l’âme accablée…

– Tiens, une mouette !  — une voix douce l’arracha à la fatigue  – Elle semble malade…  — et deux mains blanches comme l’écume des vagues l’enveloppèrent de leur caresse et la portèrent jusqu’à la maison pour la déposer dans un lit improvisé fait de vêtements usés qui sentaient la mer et la lavande. Puis les mêmes mains revinrent avec un bol de soupe et gentiment la forcèrent à manger. Après le repas la mouette se laissa emporter par le bruit des flots lointains et s’endormit tandis que les mains blanches pansèrent son aile et s’adonnèrent à leurs tâches quotidiennes…

Le matin arriva avec la caresse saumâtre du souffle de la mer et réveilla la douleur dans l’aile brisée, et avec elle, le souvenir de l’oisillon arraché au nid par la bourrasque, du vol vertigineux devant la falaise pour le rattraper au vide — le vide qui a blessé son aile et son âme… Elle ferma les yeux pour laisser glisser une larme comme une goutte salée et amère de cette immense mer qui avait accueilli son enfant… En ouvrant les yeux elle vit s’avancer vers son aile endolorie la main claire, elle sentit la douceur de sa tendresse, et elle avala les larmes qui lui faisaient mal à la gorge. La vie sur la terre et au-dessus de la mer est parfois très dure, et la mouette avait appris qu’il faut être reconnaissant quand une nouvelle tendresse vient nous consoler pour un amour disparu. C’est là la sagesse du ciel, infini comme la mer lui aussi, qui sait remplacer l’ardeur du soleil par les étincelles des étoiles… Dans leur cycle lumineux la Terre tourne, tournent la mer et la falaise, avec la falaise tourne la petite maison, et la mouette se laisse emporter par ce mouvement vers un nouvel espoir qui ressemble à un rêve dans lequel elle apprend à voler à son oisillon et le ciel les berce dans son giron de lumière…

Dans la lumière aveuglante de l’après-midi les mains blanches amenèrent dans la pièce un poussin couleur rayon du soleil que les poules et les autres petits ont chassé à coup de bec de la basse-cour. La petite créature n’en était pas triste  — elle examina tous les coins des lieux et s’arrêta l’air curieux devant cet oiseau inconnu aux yeux humides qui manifestement n’avait pas l’intention de la chasser…  – D’où viens-tu ?  — demanda dans un petit cri joyeux le poussin  – De la mer  — répondit dans un gémissement fatigué la mouette. Elle connaissait bien ces petits cris par la force desquels les jeunes oiseaux apprennent le monde pour avoir l’audace de le survoler ! Celui-ci ne volera jamais, se disait la mouette, mais elle passa les heures de l’après-midi à lui raconter la mer, le ciel, le soleil qui l’allume et les étoiles qui le font briller comme une couronne sur le front de la Terre… Aucun d’eux n’évoquait ses souffrances, ils cachèrent leurs blessures pour planer avec toute la puissance de l’espoir et de la gratitude au-dessus du miracle de l’Univers…

Un autre miracle naissait et les transportait jusqu’au ciel  — le miracle de l’amour retrouvé qui les emportait plus haut que les ailes peuvent aller, là où la soirée écarlate enflammait les nuages. Ils plongeaient dans la clarté du crépuscule sans se douter que lors de cette fête de teintes roses, oranges et mauves l’Étendue leur préparait encore de ses surprises  — ces miracles ordinaires et facilement explicables que les ignorants traitent de concours de circonstances et dans lesquels ceux qui ont des ailes savent lire le message des cieux…

La femme aux mains blanches leur apporta la soupe et se mit à genoux sur le plancher couvert des reflets et des ombres pour leur faire accepter la nourriture. C’est à ce moment-ci que la mouette vit ses yeux dont la lumière douce éclairait la pièce mieux que le soleil couchant. C’était la grâce d’un nouveau miracle, celui du voyage au fond du regard de l’autre qui offre le délice de la confiance. La mouette se mit à picoter le pain trempé et encouragea avec un cri sourd le poussin de faire de même. La force leur revenait, et l’invisible bienveillance du ciel considéra qu’il ne leur serait pas impossible de supporter un dernier miracle  — dernier pour la journée bien sûr car l’Infini ne compte pas les miracles…

La porte s’ouvrit, laissant passer le souffle de la mer dans la petite maison. Avec l’air frais dans la pièce entrèrent les pas affermis d’un homme et le trottinement d’une fillette dont la voix cristalline et excitée annonça :

– Maman, on a trouvé avec papa sur la plage un oisillon de mouette, il n’est pas blessé mais il a peur…  — et l’homme mit dans les mains blanches de la femme aux yeux lumineux un petit être frémissant de vie…

De vie, la vie qu’on croit perdue, précipitée dans le vide, qu’on essaie de sauver au prix des ailes brisées, et qu’on retrouve préservée au bout d’un long voyage vers les vérités de la Vie… Le cœur de la mouette rendait grâce à la force de la vie qui allumait les feux des étoiles dans le cadre de la fenêtre. C’était beau à rêver ! et invitait à repenser cette journée des miracles avant d’imaginer d’autres encore dont l’espoir fait battre le cœur… Cette journée… Au-dessous du ciel bleu et de ses sentiers nuageux embrasés de mille feux, — dans son souvenir, l’écume claire des vagues et l’azur étincelant de la mer,  — entre les deux un regard bleu et des mains blanches qui ont bercé avec douceur sa souffrance jusqu’à ce qu’elle s’endormît. Il y avait dans ces mains et ces yeux quelque chose qui s’apparentait à la force salvatrice du ciel et de la mer qui abrite et entretient la vie. Une force qui vient d’ailleurs, et qui fait tourner le monde entre ciel et mer sans le laisser sombrer dans le vide ; une puissance qui produit des miracles  — simples et époustouflants  — chaque jour et chaque nuit, depuis toujours !

La mouette sentit son cœur rempli de cette puissance qui lui permit d’étendre un peu l’aile blessée sans se soucier de la douleur et d’en couvrir le sommeil confiant du poussin. Sous l’autre aile frétillait de bonheur le petit corps chaud de son oisillon. La Terre, partagée entre l’étendue étoilée du ciel et le murmure apaisé de la mer, fit encore un tour sur la spirale de l’amour vers les miracles à venir…

Svétoslava Prodanova-Thouvenin
de Strinava

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