
Illustration par l’auteur
CYCLE « CONTES DU TEMPS » (4/5)
LE TEMPS ET LE VOL DES OISEAUX
Le Temps était de retour dans la forêt de sa jeunesse. Non pas que la nostalgie le tourmentait. Tout simplement la forêt était sur son chemin. Le Temps prit les sentiers couverts par la mousse des années. Sous la mousse frémissait la lueur pâle et craintive des lucioles. Les yeux du Temps n’avaient plus l’habitude de cette lumière verdâtre. À présent ses pas arpentaient plutôt des avenues envahies de tubes de néon. Les pas du Temps… parfois involontairement, parfois avec cruauté préméditée et affermie, écrasaient la vraie lumière…
Ce jour-ci un petit hibou était tout juste sorti de l’œuf. Un oisillon nu, avec de petites ailes frémissantes, d’énormes yeux pleins de lumière qui se cachaient derrière les lourdes paupières. Il grandissait vite, ses plumes poussaient, et il passait les nuits noires à défier l’obscurité par la clarté phosphorescente de ses yeux.
Parfois le petit hibou essayait de prendre l’envol. Mais en vain. Ses ailes tombaient sans force comme brisées, ses paupières couvraient alors la lumière qui jaillissait de son cœur, au-dessous des paupières fermées se glissaient silencieusement deux larmes pleines de lueur fascinante… La mère du petit hibou attendait avec tristesse désespérée le jour où son oisillon pourrait s’envoler très très haut et illuminer à la lumière de ses yeux les cimes des arbres…
– Je vais appeler le Temps, il t’aidera à voler ! — heureuse à l’idée qui subitement avait traversé son esprit, dit-elle un jour à son enfant.
– Non, je ne veux pas ! Le Temps passe par la forêt et tue la lumière des lucioles ! Il les piétine, Maman, moi je le sens et j’ai mal comme s’il foulait aux pieds mon cœur ! Le Temps ne peut pas m’aider, ma petite Maman, il n’en est pas capable ! Il passe à travers moi, invisible et cruel, il laisse des blessures dans mes ailes ! Mes ailes sont saines, mes ailes sont fortes, c’est la faute de Temps si je ne peux pas m’élever dans le ciel !
– Comment l’as-tu su ? Le Temps, tu ne l’as pas vu, tu es de la veille ! Tu ne sauras pas voler si tu n’abrites pas le Temps sous tes ailes !
– Pas question ! — répondit le petit hibou d’un ton ferme. – Je ne peux pas l’abriter, il m’est étranger ! Je vais le combattre !
Sous l’arbre qui accueillait le nid des hiboux s’était arrêté le Temps, fatigué d’avoir tué tant de lucioles. Il les avait exterminées toutes, jusqu’à la dernière.
– Pas question ! — Une voix d’oisillon dans laquelle frémissaient des larmes frôla ses oreilles. – Je le combattrai jusqu’à, jusqu’à…
Une goutte lumineuse se glissa dans l’herbe aux pieds du Temps. Puis une autre. Les larmes du petit hibou. Elles étincelaient dans l’herbe comme des lucioles…
Une peur de superstition saisit le Temps. Il se mit à courir à rendre folles toutes les pendules au monde. Loin de cette forêt ! Loin de cette lumière vivante et éternelle. Vite ! se réfugier chez les oiseaux qui ne volent jamais ! chez les volatiles qui ramassent des miettes sous la pluie glaçante du néon !
Un bruissement d’ailes suivit sa retraite de panique. Le petit hibou survolait la forêt. La douleur de son cœur versait des larmes chaudes et scintillantes, et, dans la mousse des années comme dans les jeunes pousses d’herbe, ces larmes devenaient des lucioles…
Svétoslava Prodanova-Thouvenin
de Strinava
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